8 juil. 2012

"Sharav..."

 
"Sharav" disent les israéliens, d'un air presque résigné devant la vague de chaleur. La radio non plus ne fait plus la météo dans le détail. C'est l'été, demain il fera "toujours chaud"!

Aux petites heures du matin, vendredi, je décolle un ordre de réserve collé sur la boîte aux lettres. C'est pour Yam, qui s'ébroue de sommeil quand je lui tends l'enveloppe beige frappée du sceau de Tsahal. "Quinze jours en mer!"

Escapade matinale vers Tel Aviv. Je fonce en vélo sur la rue Jaffa, dépasse le café Avram où un groupe de jazz couleur locale - oud, saxophone et darbouka - fait sourire les passants. Premier arrêt au shouk pour le petit déjeuner. Fleurs, pêches de vignes plates et sucrées, prunes, tomates foncées par le soleil et... fakoush - un petit concombre arabe, tout fin, très clair et légèrement velu. "Nectarines! Elles sont plus sucrées que celles du voisin!"

Embouteillage rue Agrippas. La terrasse vide des grillades Sima fait face à celle tout aussi désertée de son concurrent direct, les grillades Sami. Mais la queue est déjà longue devant la célébrissime Stekiat Hatzot ("les grillades de minuit") où fut inventé le fameux Meorav Yeroushalmi ("mélange hiérosolymitain"): foie, reins, coeur et blanc de poulet, et oignons frais revenus dans un mélange d'épices éponyme. "A soldier! Can we take a picture?"

Station centrale, c'est presque l'émeute. La foule attend, frustrée, devant les entrées où campent des gardes moins nonchalants qu'à l'habitude. Les bus aussi sont bloqués. Un môme informe doctement une vieille passablement alarmée: "colis suspect".

Tel Aviv, presque un autre pays. Toutes les filles sont en jupes, aucune en dessous des genoux. Sur la Place Rabin est organisée une bataille d'eau pour israéliens décomplexés des considérations écologiques nationales. Un évènement des plus drôles et irresponsables vu le climat local. Sam farfouille dans un magasin de jouets sur le chemin. "Plutôt vert ou violet pour le pistolet à eau?"

3... 2... 1... "EAU!" - Combat urbain à Tel Aviv vendredi!

Derrière le monument en mémoire d'Yitzhak Rabin, les escaliers presque historiques sont en travaux, mais la barrière est depuis longtemps forcée. D'en haut, on surplombe la foule, et ce bizarre ventilateur bleu aux dimensions gargantuesques. On sèche (un peu) nos vêtements trempés. "Le dernier bus pour Jérusalem part dans vingt minutes!"

Devant les quais un anonyme joue Chopin sur un piano graffité, presque incongru au milieu du trafic. Direction Jérusalem. Le conducteur siffle au rythme du jingle de l'émission phare du vendredi après-midi sur Galei Tsahal, interrompue à l'accoutumée par des flash infos toutes les demi-heures. "Les forces syriennes ont passé la frontière pour poursuivre les rebelles, le conflit semble s'étendre au Liban."

Le soleil baisse sur Jérusalem baignée de lumière rose, le vent charrie une apaisante fraîcheur. Je pousse la porte grinçante du jardin, et effraie un chat noir qui renverse dans sa fuite l'arrosoir jaune en plastique qui trônait parmi les plantes. Toute la coloc bouquine dehors, entre les lessives qui sèchent. "Thé froid? Et on a fait des courses!"

Mes pieds rencontrent les tomettes froides de la maison tout juste lavée. Entre les affaires éparpillées de son sac militaire, Yam plie un oiseau d'origami. Une sirène monocorde sonne dans le lointain. "Tiens, shabbat entre..."

5 commentaires:

Jean-Michel a dit…

J'attends toujours aussi impatiemment tes billets et suis jamais déçu de ses lectures. Encore une belle prose qui nous fait suivre ton rythme de vie par flash.

Anonyme a dit…

Très joli, authentique, bien écrit ! Impatient de lire les billets suivants. Merci pour ton talent !

Poppilita a dit…

oui c'est toujours un veritable bonheur de te lire. ca fait un peu voyager et un peu rever. bonne semaine...

ysa a dit…

C'est comme si on y était, ça fout la nostalgie mais c'est tellement agréable à lire...

Bruno a dit…

jolie découverte que ce blog, j'y ai l’impression de revenir en Israël , merci Perle je reviendrai prendre de tes nouvelles... continue! Bruno